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N° 18 Article de Philippe d’IRIBARNE, publié dans le Figaro le 21 mars 2017
___Semblable ou différent : un enjeu crucial

mardi 28 mars 2017.
Revendiquer la reconnaissance de différences fortes et réclamer un traitement identique sont deux exigences qui entrent en conflit

Les difficultés d’intégration des populations issues de l’immigration suscitent deux interprétations simplistes. Pour certains, contrairement aux Italiens, Espagnols, Polonais et autres qui ont nourri les vagues d’immigration plus anciennes, les Maghrébins et ceux qui viennent d’Afrique subsaharienne refuseraient de s’intégrer. Pour d’autres, une société raciste, xénophobe, islamophobe, refuserait d’accueillir la diversité du monde.

Ces deux images dissuadent de prêter attention aux processus beaucoup plus subtils qui alimentent la triste situation que nous connaissons et d’agir pour l’améliorer.

Il n’est sans doute pas la peine d’insister sur le fait que nombre de ceux qui sont issus des vagues récentes d’immigration font de leur mieux, avec succès, pour devenir des « Français comme les autres ». Et, réciproquement, l’image d’Épinal d’une société engluée dans le racisme, la xénophobie et l’islamophobie ne tient pas face à l’examen des faits.

Ainsi, plusieurs testings (dont les résultats détaillés sont aisément consultables sur Internet) montrent que les « discriminations à l’embauche » sont le fruit de processus complexes, affectant les relations entre les employeurs et les demandeurs d’emploi, dans lesquels les uns comme les autres sont impliqués.

Si le racisme prévalait, on observerait que le seul fait d’appartenir à une « race » supposée déclencherait une sorte de comportement pavlovien de rejet. Or il n’en est rien, comme le montre le « testing Diouf ». Celui-ci a conduit à comparer les réactions d’employeurs potentiels à des candidatures émanant d’une part de personnes empruntant le nom de Diouf et d’autre part d’une prétendue Aurélie Ménard. Une polarisation sur la « race » aurait produit des réactions stéréotypées envers les Diouf. Or, il n’en a rien été. Marie Diouf, supposée africaine mais chrétienne, a eu un taux de réponses proche de celui d’Aurélie Ménard (21 % contre 25 %). Et c’est seulement Khadija Diouf, supposée africaine et musulmane, qui a eu un taux de réponses très inférieur (8 %).

Mais alors, si ce n’est pas du racisme, n’est-ce pas une islamophobie aveugle qui est en jeu ? Le « testing Haddad », portant sur un ensemble de personnes supposées d’origine libanaise et différant par des prénoms perçus comme typiquement chrétien (Michel), musulman (Mohammed) ou juif (Dov), conduit à écarter cette interprétation. Mohammed est beaucoup plus mal traité que Michel lorsque l’un et l’autre donnent des signes d’engagement marqué dans leur religion (il doit alors envoyer quatre fois plus de CV pour avoir une réponse). Mais l’écart se réduit considérablement (avec un rapport qui n’est plus que de 1,4 à 1) lorsque l’un et l’autre ont appartenu à un mouvement scout non confessionnel, ce qui laisse les employeurs potentiels espérer, s’agissant des musulmans, qu’ils ne sont pas radicalisés.

De plus, l’écart résiduel dépend dans une proportion importante du parcours professionnel des candidats ainsi que des caractéristiques du poste à remplir. Ce qui est en question, indique l’étude, n’est pas une sorte de réaction passionnelle indifférenciée à l’égard d’une religion, mais le risque très terre à terre de voir des convictions religieuses devenir « problématiques pour l’environnement professionnel ». Une certaine attitude à l’égard de l’autorité, des rapports entre hommes et femmes ou des exigences d’une culture d’entreprise est susceptible d’être très diversement source de problèmes selon le poste occupé, et les employeurs y sont sensibles.

Est en jeu, dans ces situations, un phénomène qui n’est propre ni au monde de l’entreprise ni à la France : plus celui à qui on a affaire se présente comme différent et plus on se trouve dans une situation concrète où cette différence est susceptible de rendre difficiles les relations que l’on a avec lui, plus on tend à prendre ses distances, soit en se mettant soi-même à l’écart soit en l’écartant. Un effet de ce phénomène général est que les sociétés marquées, d’une manière ou d’une autre, par une grande hétérogénéité culturelle, ethnique ou religieuse, de l’ancien Empire turc à l’Inde ou au Brésil, sont fortement ségréguées, même lorsque, comme les États-Unis contemporains, elles luttent contre cet état de fait.

En France, une grande partie des personnes issues de l’immigration ont parfaitement saisi cette logique. Elles ont bien compris et admis que la société française catalogue ses membres, d’où qu’ils viennent, en fonction de mille considérations parmi lesquelles le respect des règles de civilité dont elle est riche, telle une certaine discrétion dans la manifestation des convictions religieuses, tient une grande place. Et, sans pour autant renier leurs origines, elles se sentent bien intégrées. Mais une autre partie n’a pas fait ce pas et ses membres entendent être regardés et traités comme semblables alors même que, dans leur manière d’être, ils s’affirment et s’affichent comme différents.

Les revendications en ce sens de mères d’élèves de deux écoles primaires et maternelles de Montpellier, qui ont défrayé la chronique il y a quelque temps, fournissent un exemple parlant d’une telle attitude : « En classe, protestent-elles, on voudrait des petits blonds avec nos enfants. » L’évolution du quartier est déplorée. « Avant, c’était mieux, relate l’une des mères, interrogée par la presse. Il y avait une église, un boulanger, un tabac-presse…

Des Asiatiques, des Africains, des Français, d’autres gens vivaient ici. Les instituteurs habitaient le quartier. Et puis ces gens-là ont déménagé : on n’a pas fait attention mais, peu à peu, il n’y avait plus que des Marocains. » Or, on ne trouve aucune interrogation chez les intéressées sur les raisons pour lesquelles ces déménagements se sont produits. Celles qui mènent le mouvement se présentent vêtues d’une stricte tenue islamique, ce qui suggère une forte emprise de l’islam sur le quartier concerné, mais les effets d’une telle emprise ne sont pas évoqués.

Des mouvements fort actifs, tels le Collectif contre l’islamophobie ou les Indigènes de la République, dénoncent ces situations au nom du refus des discriminations, en mettant en avant l’égalité des citoyens devant la loi. Mais, ce faisant, ils passent sous silence deux éléments essentiels. D’une part, dans la vie d’une société, tout ne relève pas de la loi.

La loi n’interdit pas de déménager pour quitter des lieux où l’on se sent mal, ne serait-ce que parce que les codes sociaux qui y prévalent ne sont pas les siens. Elle ne règle pas dans le détail la manière de s’adresser à autrui, d’exprimer par un regard, ou une absence de regard, les sentiments qu’il vous inspire. Elle ne peut rien aux changements d’attitude de la part des voisins, amis et fréquentations, qu’entraîne le fait d’abandonner une tenue neutre au profit d’une tenue islamique.

Et, même dans les domaines qui en relèvent, la loi n’est pas toute-puissante, surtout si elle paraît peu légitime à ceux qu’elle cherche à contraindre ; ainsi, peut-on convaincre un employeur que, dans le choix de son personnel, il n’a pas à se soucier du bon fonctionnement de son entreprise ?

L’aspect tragique de cette situation est que, sans doute, une bonne partie de ceux qui en sont victimes sont largement de bonne foi. Les voix militantes, qui cherchent à empêcher que les populations issues de l’immigration ne s’intègrent et qui travaillent à les convaincre qu’étant pures victimes d’une société raciste, xénophobe et islamophobe elles ne peuvent que subir et détester, sont pratiquement les seules à se faire entendre. Il est temps de dire, haut et fort, que personne n’est enfermé dans un destin lié à ce qu’il est, à ses origines, à sa foi, mais que la manière dont il est regardé et traité dépend de ce qu’il en fait. Il y a bien des manières, discrètes, voyantes ou agressives, d’affirmer sa différence et de susciter, en retour, l’accueil ou le rejet de ceux qui vous entourent. ■

Philippe D’IRIBARNE : Ancien élève de l’École polytechnique. Directeur de recherche au CNRS, auteur de plusieurs ouvrages devenus des classiques, tels « La Logique de l’honneur. Gestion des entreprises et traditions nationales » (1989) et « L’Étrangeté française » (2006). Dernier livre paru : « Chrétien et moderne » (Gallimard, 2016).



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