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"Apprendre à se connaître, pour savoir se comprendre"

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N° 23 / N° 212 Article original publié le 29 février 2012
___S’il n’y a pas eu génocide, ça y ressemble !

jeudi 1er juin 2017.

La devise d’ICEO est : «  apprendre à se connaître pour savoir se comprendre ». Quand on fait l’effort de se mettre à la place de l’autre, juste pour essayer de comprendre comment il voit les choses d’où il est placé, on a souvent l’heureuse surprise d’une illumination.

A la veille de Noël (2011), les députés français ont décidé de pénaliser la négation de tous les génocides. Le parlement français n’ayant reconnu à ce jour que deux génocides et la loi GAYSSOT pénalisant la négation de la Shoah, cette nouvelle pénalisation de la négation de TOUS les génocides ne peut viser, objectivement, que le génocide arménien, reconnu officiellement comme tel par l’Assemblée nationale française en 2001.

Il est surprenant, dans le contexte politique et économique actuel, que cette loi ait pu être considérée comme urgente, mais ne gâchons pas notre plaisir, nos parlementaires ont certainement voulu montrer par ce vote qu’ils avaient une conscience. Les mauvaises langues disent qu’ils ont voulu se donner bonne conscience (1) .

En janvier, les sénateurs, à leur tour, ont voté la même loi. Début février, la cause est donc entendue pour les parlementaires français, il y eut génocide des Arméniens en 1915 et dire le contraire est contraire à la loi.

C’est contraire à la loi, mais est-ce contraire à l’Histoire ?

Même si le récit biblique est considéré comme allégorique, l’extermination totale des Madianites ordonnée par MOÏSE, « Maintenant, tuez tout mâle parmi les petits enfants, et tuez toute femme qui a connu la couche d’un homme  » (Livre des Nombres, chapitre 31, verset 17) est donnée comme la plus ancienne (2) tuerie, connue, perpétrée pour des motifs ethniques. On peut donc dire que les massacres de masse, qualifiés aujourd’hui de génocides, existent depuis des temps très anciens. Si les crimes contre l’humanité et les génocides sont presqu’aussi vieux que l’humanité, la définition de ces crimes est extrêmement récente. Ce n’est en effet qu’à la fin de la Seconde guerre mondiale que le droit international s’est efforcé de leur donner une définition juridique.

Le crime contre l’Humanité n’acquiert sa qualification juridique qu’en 1945 (3) et en 1948 (4) . Il est défini généralement comme : «  l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile  », mais il n’a toujours pas une seule définition unanimement admise.

Ce n’est qu’en 1944, cent cinquante ans après le mot populicide (5) , que le terme « génocide » a été créé par le juriste Raphaël LEMKIN, pour qualifier l’entreprise d’extermination des Juifs et des Tsiganes perpétrée au cours de la Seconde Guerre Mondiale par les nazis.

Depuis 1945 (procès de Nuremberg), un génocide est défini comme : l’anéantissement délibéré et méthodique d’un groupe d’hommes, en raison de sa race, de son appartenance ethnique, de sa nationalité ou de sa religion, dans le but de le faire disparaître totalement et ce au nom d’un principe raciste ou d’une conception idéologique de ce groupe.

Pour désigner les massacres commis en Turquie contre les Arméniens en 1915 et au-delà pour caractériser l’extermination systématique de populations autochtones, notamment amérindiennes, par les conquérants européens, le mot génocide n’a été employé que rétrospectivement. Lorsqu’en 1986, Reynal SECHER (6) utilise pour la première fois le terme « génocide » à propos des meurtres de masse commis par les républicains durant les guerres de Vendée, les historiens, quasi unanimes à l’époque, s’insurgent contre l’utilisation d’un mot qu’ils jugent impropre.

Il est intéressant de comparer les arguments avancés par les historiens turcs qui contestent l’existence d’un génocide arménien à ceux des historiens français qui refusent que les massacres en Vendée soient assimilés à un génocide.

L’importance des crimes de masses commis n’est niée ni en France ni en Turquie. Ce qui est nié, c’est la volonté génocidaire des meurtriers :

Ils ont certes assassiné, et beaucoup assassiné, mais ils l’on fait en légitime défense, dans un cas de force majeure.

La violence exercée contre les Vendéens et les Arméniens fut terrible, mais elle fut justifiée et légitime, car répondant à un impératif majeur en France puis en Turquie, la défense de la révolution nationale, la défense de la république en devenir.

Le massacre des Vendéens et celui des Arméniens furent perpétrés pour mettre un terme à la sédition criminelle de populations arriérées hostiles à la révolution, traîtres à la patrie car en intelligence avec les ennemis de la république (les Anglais et les Autrichiens en Vendée, les Russes, les Français et les Anglais en Turquie).

L’éventuelle qualification rétrospective de génocide pour les crimes commis lors de la répression ordonnée par la Convention, est inadmissible pour les historiens hagiographes de la Révolution française, car elle conduirait à une inévitable condamnation morale rétroactive.

C’est la raison pour laquelle, dans son Histoire socialiste de la Révolution Française, Jean Jaurès, se sent obligé de présenter la Terreur comme une impérieuse nécessité :

"Quand un grand pays révolutionnaire lutte à la fois contre les factions intérieures armées, contre le monde, quand la moindre hésitation ou la moindre faute peuvent compromettre pour des siècles peut-être le destin de l’ordre nouveau, ceux qui dirigent cette entreprise immense n’ont pas le temps de rallier les dissidents, de convaincre leurs adversaires... ils demandent à la mort de faire autour d’eux l’unanimité immédiate dont ils ont besoin (7) ."

De même qu’on ne peut reprocher au chirurgien d’amputer son malade pour lui éviter la mort due à la gangrène, on ne peut reprocher à la république d’avoir massacré la partie « malade » de sa population faisant obstacle à la bonne santé révolutionnaire de la nation.

Le principe de droit qui vaut que tout inculpé doit être supposé innocent, devient en période révolutionnaire, « tout innocent, qui a le malheur d’habiter une région irrédentiste, est un coupable potentiel qui s’ignore et qui doit donc être châtié comme tel ».

On peut comprendre que la République liquide ses opposants en armes ou sans arme, mais on a du mal à admettre qu’elle extermine du même sabre les femmes en couches et les nourrissons, au nom d’un très révolutionnaire principe de précaution.

C’est le massacre de populations entières, nourrissons compris, et la préméditation du massacre qui qualifie le crime de génocide. En Vendée et en Turquie, des populations entières ont été conduites délibérément à la mort, sur instruction explicite des autorités politiques et militaires.

Pour ceux qui auraient encore des doutes, citons la lettre du général WESTERMANN au comité de salut public, décembre 1793 :

Il n’y a plus de Vendée, Citoyens républicains, elle est morte sous notre sabre libre avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins, pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. Un chef des brigands, nommé Désigny, a été tué par un maréchal des logis. Mes hussards ont tous à la queue de leurs chevaux des lambeaux d’étendards brigands. Les routes sont semées de cadavres. Il y en a tant que plusieurs endroits font pyramide. On fusille sans cesse à Savenay car à chaque instant il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers.

Mardi 28 février, le Conseil constitutionnel français a invalidé la loi punissant la contestation du génocide arménien. Cette invalidation devrait permettre aux historiens de reprendre sereinement leurs travaux. En Turquie, on continuera à refuser l’utilisation du mot génocide pour les massacres des Arméniens, et en France on pourra continuer à refuser d’utiliser le mot génocide pour les massacres de la Convention en Vendée. Pourtant, s’il n’y a pas eu génocide (8), ça y ressemble.

Après plus d’un siècle de guerres sanglantes, la France et l’Allemagne ont une lecture de leur histoire commune apaisée. Ne doutons pas que, travaillant de conserve, les historiens français, farouches robespierristes, et les historiens turcs, kémalistes acharnés, finiront par établir une histoire acceptable pour leurs deux pays.

Montpellier, le 29 février 2012

Paul CLEVELOT

(1) Les très mauvaises langues disent que ce vote est purement électoraliste. Si électoralisme il y a, il est certainement à courte vue car aujourd’hui il n’est plus sûr qu’en France les Arméniens contrôlent plus de voix que les Turcs. Le président Sarkozy ne s’est pas opposé au vote de cette loi. Il savait que le gouvernement turc réagirait en suspendant les projets de coopération franco-turcs. Il savait que cette suspension mettrait de fait un terme au processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. On ne peut s’empêcher de penser à une instrumentalisation de la négation du génocide arménien.

(2) Ce serait sous Ramsès II (- 1301 à - 1235, ou - 1290 à - 1224) que Moïse naquit, sous son règne qu’il émigra à Madian, et sous le règne de son fils Mineptah (- 1234 à - 1224, ou - 1224 à - 1204) qu’il retourna en Egypte. Il est défini par l’article 6c du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg et appliqué pour la première fois lors du procès de Nuremberg en 1945.

(3) Il est défini par l’article 6c du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg et appliqué pour la première fois lors du procès de Nuremberg en 1945.

(4) Le crime contre l’humanité, malgré ses débuts modestes (il prévoyait explicitement de ne s’appliquer qu’aux actes commis par les puissances de l’Axe), a peu à peu été inscrit dans la législation internationale et vu au passage sa définition précisée. Une résolution des Nations unies est ainsi votée en 1948 « confirmant les principes du droit international reconnus par le statut de la cour de Nuremberg et par l’arrêt de cette cour. »

(5) Populicide : La forme nominale apparaît en 1794 pendant la Convention thermidorienne sous la plume de Gracchus Babeuf qui l’utilise dans son pamphlet Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier. Par ce terme, Babeuf qualifie les exactions commises par Jean-Baptiste Carrier, envoyé en mission de la Convention nationale à Nantes, pendant la guerre de Vendée.

(6) La Vendée-(département)Vengé : le génocide franco-français, Presses universitaires de France, 1986.

(7) On retrouvera la même argumentation chez les défenseurs du système stalinien. Les déportations massives, les famines provoquées en Ukraine, furent justifiées par la nécessité et l’espérance en un ordre nouveau.

(8) Seuls quatre génocides ont été reconnus au plan juridique par des instances internationales dépendant de l’ONU . Aucun pays membre permanent du Conseil de sécurité, qui rappelons-le ont seuls droit de veto, n’a été accusé de génocide. Le titre infamant de peuple génocideur est le plus souvent attribué aux pays vaincus.



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