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N° 40 / N° 426 Tribune de Laure SCHNEITER
___Sauvons les liaisons, amies de l’orthographe des enfants

mercredi 16 août 2017.
publiée sur Rue89 – Le Nouvel Observateur le 25 mars 2014

Dans les années 70-80, lorsque les humoristes imitaient la voix de monsieur Georges Marchais, comme lui, ils ne faisaient pas les liaisons en parlant, ce qui amusait beaucoup tout le monde. Aujourd’hui, j’en ai pris conscience récemment, presque plus personne ne fait les liaisons. Comment cela est-il arrivé ? Insidieusement sans doute, année après année.

Ecoutez attentivement les gens parler : nos intellectuels, hommes et femmes politiques, professeurs, instituteurs, professions libérales, les journalistes à la radio comme à la télévision, les adultes comme les jeunes, toutes les catégories sociales sont touchées, à quelques exceptions près.

Catastrophique pour les enfants

Cela est dommage par rapport à la beauté de la langue française parlée qui est une langue « fluide » et qui devient une langue « hachée », aux phrases saccadées, si l’on ne fait pas les liaisons entre les mots, mais c’est catastrophique par rapport aux enfants qui apprennent l’orthographe.

Topaze : première de la pièce de théâtre de Marcel PAGNOL en 1928

Lorsque l’on fait la liaison devant une voyelle, l’enfant entend le son de la lettre à la fin des mots et apprend rapidement qu’il y a un S, un T, un N, un P, etc. à la fin d’un mot devant un mot commençant par une voyelle (je parle des liaisons courantes).

Comme vous le savez, l’essentiel des fautes graves sont les lettres qui terminent le mot : les S des pluriels, les S et les T des terminaisons verbales pour commencer. Cela ne résoudra pas tous les problèmes d’orthographe auxquels les enfants sont confrontés, mais cela les aiderait déjà beaucoup.

Je vous demande de prendre la peine de lire tous les exemples que je vais vous citer, sans faire la liaison, puis en la faisant ; c’est la seule façon d’en prendre conscience.

Ce qu’il faut dire

Déclamer telle Sarah Bernhardt ?

En revanche on entend des liaisons « mal-t-à propos » (entendu des dizaines de fois pour ne prendre que cet exemple) ! Comment voulez-vous que des enfants qui n’entendent jamais le son « t », « s », « peu » ajoutent un T à vingt ou cent, un S à mais ou dans, un P à beaucoup ou à trop et ainsi de suite ? !

Un autre exemple : on ne dit pas nos partenaire[s] européens mais nos partenaires-z-européens. La plupart des enfants ne savent pas trop que « nos » est un adjectif possessif qui marque le pluriel ; s’ils n’entendent jamais le S final du mot qui suit, dans mon exemple « partenaires », ils n’ont aucun repère auditif, alors que la liaison, fréquemment entendue devant allemands, italiens, anglais, espagnols, les guiderait pour mémoriser ce S.

Il faut que tout le monde fasse un effort pour réapprendre à faire les liaisons et croyez-moi, ce n’est pas facile ; il faut des semaines pour se rééduquer et cela demande beaucoup de rigueur intellectuelle et de concentration mais chacun sait qu’il est toujours salutaire de faire travailler son cerveau. Faire les liaisons ne veut pas dire déclamer telle Sarah Bernhardt, en exagérant les accentuations ; il faut que cela soit léger et discret, ce qui donne alors toute son élégance au français.

► LE SKETCH « LES LIASONS DANGEREUSES » Les Nuls

Les pieds des poésies

Pensons au gentil Topaze de Marcel Pagnol quand, au début de la pièce, il aide ses élèves pendant une dictée en insistant sur le fameux S des « moutonssssss », afin qu’ils n’oublient pas l’accord à faire au pluriel. Et pourquoi pas d’ailleurs ? Sans aller jusque-là, il faudrait que les instituteurs fassent et accentuent les liaisons durant les séances de lecture et les dictées. OR, LES ENFANTS N’APPRENNENT PLUS A FAIRE LES LIAISONS.

Ils n’en font plus en lisant à haute voix en classe, ni en récitant une poésie, ce qui rend souvent les poésies « bancales » car il leur manque des pieds. Sans avoir valeur de sondage, j’ai enquêté auprès de nombreux parents qui me l’ont confirmé. Le comble, c’est que les enfants qui savent faire les liaisons n’osent pas, car personne ne les fait dans leurs classes !

A la radio, à la télévision...

De plus en plus de journalistes, et même les plus brillants, ne font plus les liaisons, même les plus courantes, alors que tous les jours, des millions d’auditeurs les écoutent. Il en va de même pour les intellectuels, philosophes, écrivains participant à des débats, par ailleurs fort intéressants.

Encore une fois il ne s’agit pas d’entrer dans la subtilité complexe des règles de grammaire, du H muet ou aspiré, de l’élision… mais de commencer par les cas les plus évidents où la liaison ne fait pas question. L’étendue de l’entreprise sera déjà considérable !

Alors, je vous en prie, messieurs et mesdames les professeurs, les journalistes, les intellectuels, faites tous un effort. Vous avez une mission à accomplir en parlant un français irréprochable qui fera progresser tout le monde, mais surtout pensez aux enfants. Je vous adresse cette supplique en espérant qu’elle fera plus que vous faire sourire car l’enjeu est de taille si l’on y réfléchit. Je l’adresse, comme il se doit aux autorités qui veillent sur le bien commun, mais c’est aux pratiquants de notre langue que je voudrais confier cette campagne.

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Article : version originale



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